Avant la sortie

Entretien avec Xavier “Tikokh” Brault autour de Okimba : Le Jeu de Rôle

Qu’on se le dise, le monde du jeu de rôle français est assez petit, en dépit d’un essor certain ces dernières années. Comme dans tout bon microcosme, tout se sait, tout se discute et quand les informations ne filtrent pas sur les différents réseaux (sociaux, amis, collègues ou connaissances), on peut toujours compter sur la rumeur pour apprendre l’existence de projets insoupçonnés… Sauf que dès fois, on arrive quand même à avoir des surprises. L’une des dernières remonte à quelques mois avec Ocelo1 (l’horreur mythologique) qui a poppé du jour au lendemain, comme ça, sans prévenir… et aujourd’hui (enfin… hier), ce fut au tour de Okimba. Alors Okimba, qu’est-ce que c’est, et comment se fait-il que l’on n’en n’ait jamais entendu parler avant ?

1 : Bon, déjà Bonjour Xavier. Dis-moi, tu es un petit cachottier pour avoir réussi à garder secret ton jeu tout ce temps (on me chuchote que tu as tout de même planché quatre ans dessus avant de nous présenter ton projet), du coup je m’interroge… Tu l’as développé dans une grotte isolée au fin fond du Vercors où tu as menacé des pires sévices tout ton entourage en cas de divulgation ?

Bonjour David ! Alors déjà, tu es un putain de voyant lvl 20 parce que je me suis en effet isolé plusieurs fois à la campagne ou à la montagne pour me focus en mode moine sur les illustrations. Des fois, je donnais tellement plus de nouvelles que les copains croyaient qu’il m’était arrivé quelque chose. La seconde raison, c’est que je suis une brêle des réseaux sociaux et du marketing. Un putain d’ermite, j’te dis ! Du coup, je n’ai pas communiqué et je n’ai pas créé de communauté en amont. Et quand y’a des gars ultra gentils comme vous qui m’aident à diffuser le crowdfunding, ça me touche énormément parce que c’est vraiment mon talon d’Achille.

2 : Du peu que j’ai vu sur ta page Ulule, ça m’a tout l’air d’être un chouette projet, étroitement lié à tes illustrations. Tu pourrais nous en dire un peu plus sur le pitch du jeu (même si ta vidéo de présentation fournit pas mal d’infos) ainsi que sur l’ambiance que tu souhaitais faire passer ?

Paie ton Shaman !

« Dans un monde fait de survie, de shamans et de voyages, vous jouerez des bêtes ayant acquis la conscience et qui vivent en craignant le réveil du grand cornu, de l’aplatisseur de montagne, du père des géants…OKIMBA« 

On peut vraiment résumer ce jeu de rôle en 3 mots. La survie, la tribu et le mystère.
Survie, parce que c’est un monde sans pitié et épique qu’il faudra affronter avec nos crocs et nos griffes.
Tribu, parce qu’ensemble, il est plus facile de survivre et la tribu devient tout pour l’individu même si tout semble vouloir séparer les gens entre eux, différentes races, différentes religions, différents modes de vie, etc… Il faudra donc apprendre à vivre ensemble.
Enfin, les secrets, le manque d’information dû à une tradition orale et surtout le monde des esprits apportent cette brume qui noie le tout dans le mystère !

3 : Les illustrations, parlons-en. En me promenant sur ton profil instagram (haaaan quel vilain curieux), je me suis plusieurs fois surpris à penser à Caza2… Si je te dis ça, tu penses en premier à une chaîne de magasins de décoration d’intérieur ou ça ne te surprend pas et tu vois où je veux en venir ? 

Je ne connaissais pas Caza, du coup j’ai regardé et certaines illustrations me font un peu penser à Moebius, dont j’adore le travail. Mais si tu veux avoir mes influences, c’est extrêmement simple. J’ai appris à dessiner sur le tas, en regardant des vidéos YouTube ou des BDs. Etant un gigaaaaaa fan de la quête de l’oiseau du temps3, j’ai cherché comment Lencot4 à la couleur et Loisel5 au dessin avaient fait, quels pinceaux ils avaient utilisés et tout ! Je l’ai longtemps imité, mais jamais égalé… ahaha… Après, j’ai pris d’autres codes graphiques, j’ai trouvé un peu le style propre d’Okimba, mais il y a une grosse base qui vient de l’imitation de Loisel

Quand j’ai commencé Okimba, le style BD traditionnel est devenu vite une évidence parce qu’il y avait deux choses qui m’intéressaient. Déjà l’efficacité. En BD Tu as 4 à 7 cases par page, tu ne peux pas passer une semaine sur une case, il faut aller vite, trouver des codes efficaces, jouer sur la mise en scène et les effets graphiques. Mon deuxième intérêt, était l’âme qu’il y avait dans les dessins. C’est dur à expliquer comme concept, mais j’en avais marre des peintures digitales dans les bouquins de jeu de rôle. Plus rapides à faire, plus facilement impressionnantes, mais pour ma part, souvent froides. Je pense que c’est dû à la perfection de ces dessins, qui en vient à faire oublier qu’il y a un humain, un artisan derrière, qui les a fabriqués avec ses mains et son cœur !

4 : J’ai de plus en plus au fil des années, un goût prononcé pour les jeux indépendants ou les maisons d’éditions qui prennent des risques (même si en soi, se lancer dans l’édition est à la base une entreprise des plus hasardeuses). Dans le cas présent, tu as monté ta propre structure (Galion Sauvage6) pour t’éditer. C’est le résultat d’une volonté affirmée de garder le contrôle sur ton bouquin ou c’est parce que tu vois plus loin une fois Okimba paru ?

Okimba, le jeu de rôle, est le 4ème projet que je fais sur le même univers. J’en ai raté trois avant. Projets trop gros, éditeurs qui veulent rajouter des elfes, des zombies et des nanas à poils dans le projet (j’exagère à peine), équipe qui perd en motivation et m’abandonne… Je me suis dit pour celui-là, je le finis et je le sors ! Personne ne veut m’aider, je me démerde. Personne ne veut m’éditer, je vais créer ma boite ! Ça donne un projet hautement perfectible mais au moins, il existe !

Galion Sauvage est une boîte crossmédia. En gros, on prend un univers et on le développe sur plusieurs supports. Un jeu de rôle, un roman, une série audio, un jeu vidéo… Les projets sont complémentaires entre eux et révèlent chacun des clés de l’intrigue global de l’univers. C’est là où le crowdfunding est important, car s’il cartonne, ça va motiver les investisseurs pour les projets futurs dans le même univers !

5 : Quatre ans dans une vie, ce n’est pas rien. Est-ce que tu as eu des coups de mou, des élans d’enthousiasme à propos de ton projet ? Et si oui, qu’est-ce qui t’as motivé à continuer jusqu’au bout là où au final, beaucoup finissent par baisser les bras et passer à autre chose ?

Je vais pas te mentir, à la fin, j’en venais à détester mon projet, je me trainais pour travailler dessus. Les illustrations qui n’en finissent plus. Tu as une nouvelle idée de gameplay, il faut refaire toute une partie du livre. Les relectures qu’on sous-estime tous ! Et la fatigue physique et mentale. Le livre que vous voyez en crowdfunding est la version 7 du jeu. J’ai recommencé énoooormément de fois. Ça a été particulièrement dur parce que c’était 4 ans de mon temps libre. Donc, Déjà fatigué d’un 40h / semaine sous pression, je devais aller sur ma table à dessin pour faire les 60 illustrations qu’il y a dans le livre. Et je suis un connard de perfectionniste, donc quand je ne suis pas satisfait, je refais encore et encore les dessins. Je venais plus au fête avec les copains, parce que j’aurais perdu une soirée de dessins et que le lendemain j’aurais été fatigué. Ça a aussi été dur parce que je ne savais pas dessiner quand j’ai commencé, j’ai donc dû apprendre en même temps que produire, ce qui est extrêmement compliqué ! 

Voyons, faut pas déprimer, une vue comme ça, ça remonte le moral

J’avais beau être un battant, j’ai eu de sacrés moments de déprime. Ce qui revenait comme pensée le plus souvent c’était “mais pourquoi je me fais autant chier, tout le monde s’en fout de mon projet”. Mais heureusement, heureusement, qu’il y a eu les parties de tests. A chaque version du jeu, on testait avec des nouveaux joueurs qui ne connaissaient pas le projet, voir même le jeu de rôle et les retours étaient très encourageants. Les rôlistes y jouaient comme si c’était un “vrai” jeu de rôle. En plus de ça, il y a eu les copains. Prenez soin de vos amis, parce que franchement sans eux, je n’aurais ni poussé autant le projet, ni fini tout simplement.

6 : Pour en revenir au monde d’Okimba, tu as choisi de faire jouer des animains plutôt que des nains ou des elfes (déjà rien que pour ça, bravo)… Comment tu as prévu de transmettre le caractère spécifique de tes personnages aux futurs joueurs et MJ, parce que, soyons francs, tout le monde ne maîtrise pas forcément la psychologie du furet, de la mante religieuse ou du scarabée ?

Okimba s’inspire beaucoup de l’Afrique. Les noms sonnent africains, les inspirations d’animaux qu’on joue viennent souvent d’afrique (hyène, lion, etc…), il y a des masques, des shamans, etc…Si L’Afrique est à la mode aujourd’hui après Black Panther7 ou Spider Man into the Spider Verse8, à l’époque ça ne l’était pas. Quand je voulais trouver des financeurs ou éditeurs, on voulait toujours me changer des trucs pour le mettre plus “vibe” mythologie nordique ou celtique. On aime tous Tolkien mais arrêtons de l’essorer le pauvre xD. J’ai vu des projets de jdr super intéressants avec des univers arabes ou asiatiques et arrivé à la création de perso je voyais les éternelles humains, elfes, nains, guerriers, rôdeur, magicien…
Je comprends la démarche. C’est rassurant et économiquement plus intelligent de rester dans ce que les joueurs connaissent déjà pour récupérer une partie de la communauté déjà créé par les jeux de rôle connus, pour ne citer que D&D par exemple. Alors je me suis dit : “Tant pis, tu ne feras pas d’argent avec Okimba mais au moins portes tes couilles jusqu’au bout, Tikokh !”
Pour ce qui est des personnages jouables. On joue des animaux ayant acquis la conscience d’eux-mêmes, la parole et l’organisation en tribu. On peut vraiment faire le rapprochement avec l’odyssée humaine et les hommes de cro magnon qui deviennent de plus en plus intelligents et empathiques, mais aussi plus rusés et manipulateurs.
Dans le jeu, un des thèmes est le progrès qui développe le confort des animains mais déséquilibre la nature. Ce conflit est dans chaque animain, certaines races sont plus évoluées que d’autres mais toutes ont ces deux facettes en elles. Les joueurs pourront donc choisir s’ils parlent correctement, comme un gankou (des genres de troqueurs / baratineurs) ou avec des cliquetis comme les kizaalis (des insectes fraîchement arrivés dans la liste des animains).

7 : Tu nous parles d’une technologie du niveau de l’âge de pierre (Pierre ? … non non, Guy… bon, je sors !) et d’un monde hostile dans lequel la tribu est un gage de survie pour les personnages. Du coup, tu as prévu des mécaniques dédiées autour de ce thème de la cohabitation ?

Oui, tout tourne autour du “apprendre à vivre ensemble”, ce qui est intéressant métaphoriquement parce que, dans une partie de jeu de rôle, on est aussi un groupe de joueurs qui doivent apprendre à jouer ensemble. Même si tu as un pote qui ne veut que de la castagne, l’autre qui ne veut que roleplay, un qui veut respecter à la lettre les règles du jeu et enfin un dernier qui est sur son téléphone, tu dois trouver le moyen de fédérer tout le monde autour d’une quête. Dans Okimba, ta quête, c’est de survivre.

Ca va être tout noir ! Ta gueule !!!


En termes de système, le jeu prévoit mécaniquement les principes de survie. On tombe malade quand on ne mange pas assez ou qu’on ne soigne pas une plaie. Un accent particulier a aussi été mit sur les besoins physiologiques ; carnivore, herbivore, sang froid ayant besoin de chaleur, nyctalopie, méthode de reproduction, etc…
Concernant la cohabitation, tu trouveras avec chaque lignée (les races) une description précise de son système hiérarchique : patriarcale ? matriarcale ? Individualiste ? Communautaire ?
Il n’y a pas de mécanique à proprement dite pour gérer cet aspect là, hormis la caractéristique de Coeur qui est un mélange entre le courage et l’empathie, mais l’univers fournit au MJ un max de leviers moraux (préparez vous aux dilemmes ! ahahaha ) qui vont booster son scénario et ces interactions entre personnages.

8 : Maintenant que la boîte de Pandore des systèmes de jeu est ouverte (Hahaha !), tu ne vas pas y couper… des dés à douze faces… Mais dis moi qu’est-ce qui t’as pris ? Tu as des stocks à écouler ? Et au-delà de ça, tu peux développer un peu à l’intention des passionnés de belles mécaniques ? 

Ahahahah, tu vas rire, mais j’ai fait beaucoup de tests de labo, genre ultra sérieusement avec du code et tout, ahahah ! Et les D12, en termes de probabilités et d’équilibrage, étaient nettement supérieurs. Cumulé au fait que dans mon univers le chiffre 12 est lié au lore, c’était tout trouvé. Mais je sais que beaucoup d’entre vous vont me détester parce qu’ils vont devoir se reprendre tout un set de dés ahahaha. Désolé les gars ! Sinon, prenez le pack “SHAMAN”, il y a des dés avec ! (#vendeurDeTapis)

9 : En l’état, le financement concerne un livre que tu nous dis être complet, ainsi qu’un carnet de voyage présentant la conception de cinq illustrations. Pas d’écran ? Pas de campagne prête à jouer ou de scénarios dans le livre de base afin d’aider les gens à prendre ton univers en main ? Tu ne nous préparerais pas un second financement qui débarque du jour au lendemain par hasard ?

Alors, c’est très simple, j’ai dû faire un choix. à un moment, le livre faisait 300 pages, il y avait un bestiaire, une campagne, etc…Si je voulais tout faire avec mon exigence de psychopathe, ça m’aurait pris 2 ans de plus. AU MOINS !

Miam… vivement que tout ça arrive !

Je voulais pas faire un crowdfunding où les gens payent et attendent l’infini pour avoir leur livre. J’ai donc décidé de sortir d’abord le bouquin de base, avec univers, création de perso et règles du jeu. Commencer à me connecter avec des gens comme toi, avoir des retours des joueurs, créer une communauté Okimbesque. Et de prendre mon temps pour faire ces livres complémentaires, afin de les sortir plus tard. Bien sûr, en crowdfunding !

10 : De ce que j’ai cru comprendre, c’est un petit tirage qui est envisagé pour Okimba et en conséquence tu as fait des choix très tranchés en terme de qualité du livre. Alors, c’est très bien pour celles et ceux qui vont te suivre pour le financement, mais comment tu comptes gérer la demande une fois le ulule terminé (je trouve dommage, même si je comprends tout à fait les raisons économiques d’un petit tirage, de ne pas être présent activement dans les boutiques pour toucher un plus grand nombre de personnes) ?

Le tirage, je peux en sortir autant que je veux, donc si demain, le crowdfunding explose, il n’y aura aucun souci pour sortir une masse de bouquins. En vrai, les prix des impressions étant dégressifs par rapport à la quantité, plus j’ai une grosse demande, mieux c’est pour moi. D’où le fait de faire d’abord un crowdfunding, au lieu de juste ouvrir une boutique en ligne, j’ai l’argent en avance. 

C’est vraiment juste une question de rein. M’éditant moi-même, je ne peux pas sortir 25000€ pour imprimer 1500 bouquins en avance.

Voilà voilà… Si comme moi vous êtes sous le charme de ce jeu aux délicats parfums d’exotisme, de mystère et de promesses d’aventure, n’hésitez pas à soutenir le projet sur la page Ulule.
Nous avons ici à peu près tout ce qui me plait en terme de création : un auteur sympa et disponible, vraiment passionné par son propos, un réel talent d’illustrateur et un engagement personnel fort pour concrétiser sa vision de ce que doit être son jeu…
Môssieur Tikokh, je vous dis bravo et espère sincèrement que ces quelques lignes pourront aider Okimba à se concrétiser.
Mes petites mains de rôliste sont toutes fébriles à l’idée de parcourir le livre de base ainsi que le carnet de voyage dans un futur très proche (car oui, on ne vous l’a pas dit, mais si tout va bien, le jeu devrait être disponible dès cette année… à priori sous 1d3 mois + malus structurel de Covid).
Donc, foncez et soutenez la création indépendante (sans vouloir vous commander hein, mais SHAME !!!! si ça ne vous parle pas un minimum)

Hop hop hop ! On donne des sioux au monsieur qui fait des beaux dessins

Le lien vers la page Ulule :

https://www.ulule.com/okimba-le-jeu-de-role/

Propos recueillis auprès de Xavier « Tikokh » Brault par David Barthélémy

Notes et Références :

1 Ocelo
2 Caza
3 La Quête de l’Oiseau du Temps
4 Yves Lencot
5 Régis Loisel
6 Galion Sauvage
7 Black Panther
8 Spider Man into the Spider Verse

1 réflexion au sujet de “Entretien avec Xavier “Tikokh” Brault autour de Okimba : Le Jeu de Rôle”

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