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Livre dont vous êtes le perso : Le Retour d’Askavre par Heresium Games

Salut la Rôlisterie.
Après une assez longue période d’activité au ralenti, me voici de retour avec cette fois un peu plus de régularité. Nous allons commencer par rattraper le retard accumulé dans les entretiens ces derniers mois, et pour ce faire, on attaque avec Heresium Games1.
Aujourd’hui, petite incartade dans le monde des LDVELH avec le premier volume d’une série dans l’univers de Nolendim. Il y a quelques semaines, les gens de Heresium Games m’ont fait la courtoisie de m’envoyer un exemplaire du Retour d’Askavre2, leur tout premier bouquin, et c’est avec grand plaisir que je me suis plongé dans cet univers qui ne rigole pas.
Merci à eux.
Comme j’ai trouvé la lecture plutôt chouette, je me suis bien évidemment dit que je leur poserais volontiers quelques questions pour en apprendre un peu plus sur ce projet, ainsi que la maison d’édition montée pour l’occasion, les rouages de la création étant ma marotte.
Fort aimablement, Thomas Pégase et Nicolas Kfoury ont accepté de se prêter à l’exercice, dont je vous propose sans plus attendre la lecture.

Houuuu comme c’est joli !!!

Salut gens de Heresium Games.
Si j’ai bien suivi, l’univers de Nolendim, c’est deux personnes : Thomas Pégase auteur et Nicolas Kfoury illustrateur. Pour ce qui est d’Heresium Games, vous avez d’autres collaborateurs ?

Nous sommes quatre à avoir travaillé ardemment sur le premier tome de Nolendim, et nous gardons la même équipe pour la suite. Jean-Louis Caffier, notre graphiste affûté de vingt-deux années d’expérience dans l’édition, met en œuvre tout son savoir-faire dans la mise en page de nos livres. Julien Boutreux, auteur depuis vingt-trois ans de nouvelles et poèmes orientés fantasy, réviseur pour les maisons d’édition de jeux de rôle, nous apporte ses précieux conseils en relecture et correction. Ponctuellement, nous sommes aussi aidés par des étudiants en communication.
De surcroît, nous plaçons un accent particulier sur la réalisation franco-française. Nous ne travaillons qu’avec des prestataires de l’Hexagone pour l’impression de nos livres, de même que pour la numérisation HD des illustrations et l’impression des digigraphies réalisées par Mr Arno dans le Nord.

Pour se lancer dans l’écriture et la publication de « Livres dont vous êtes le perso » (appellation d’origine contrôlée), on se doute un peu que vous avez un bagage ludique derrière vous… Vous nous résumeriez un peu votre parcours histoire qu’on se fasse une idée ?

Rhoooo, les logos qui ont fait rêver toute une génération


Un premier jeu de rôle, un Livre dont vous êtes le héros à 11 ans ; attiré par les illustrations dans une librairie, j’ai acheté Les Sombres Cohortes3. Il m’a fallu deux ans de plus pour que je commence vraiment à le lire. Passé 30 ans, j’ai gardé une belle collection de LDVELH, uniquement de la V1.
Les LDVELH favoris… il y a la série Sorcellerie!4 pour son système de jeu lié à la magie. Plusieurs livres de la série Défis Fantastiques5 dont : Les Rôdeurs de la nuit, La Cité des voleurs, L’Arpenteur de la lune, La Tour de la destruction, et bien sûr Le Manoir de l’enfer pour en citer peu. Une attention très particulière pour d’autres séries comme Les Messagers du temps6 et Double Jeu7.

Parmi ceux-là, s’il y a des livres dont j’ai pu m’inspirer pour le concept de Nolendim : Le Manoir de l’enfer8 pour sa difficulté et l’angoisse permanente, et la série Double Jeu qui propose plusieurs points de vue sur la même histoire.
Mais notre passion pour le jeu de rôle ne se limite pas aux livres. Nous faisons partie de la génération L’Histoire sans fin9 qui a connu la sortie d’HeroQuest10 et de Space Hulk11. Fascinés par les jeux de plateau avec figurines organisés dans les Games Workshop12, et par l’univers
de Warhammer et Warhammer 40K.

Avec Le Retour d’Askavre, vous nous proposez une aventure dans l’univers de Nolendim, un monde de Dark Fantasy en proie à différentes sortes de démons qui pourrissent bien la vie de la population et dont les actions vont être au cœur du livre. Le ton est donné dès le premier paragraphe, on part sur quelque chose de plus mâture que les Défis Fantastiques par exemple. Quand vous avez lancé le projet, vous comptiez cibler quel type de public ?

Les hérétiques, les survivalistes, les marginaux, les gothiques et amateurs d’ésotérisme ; l’ensemble des irrationnels prêt à être la proie de démons. Mais aussi ceux qui savourent les épopées tragiques en sachant pertinemment qu’il n’y a pas de fin heureuse. Les simples rêveurs qui préfèrent s’évader une heure dans un monde moribond. Ou encore ceux qui ont un sérieux compte à rendre à la fatalité.
En résumé, les passionnés, les inconditionnels et collectionneurs de LDVELH aimant la difficulté, en quête de redécouvrir le genre à travers une aventure dantesque et apocalyptique. Plus largement, les rôlistes attirés par une expérience solo où l’histoire est dictée par leur comportement.  

Attention, le monsieur n’est pas la pour faire des gaufres

En lisant le bouquin, on sent que vous en avez sous le pied pour développer Nolendim (dont au passage les sonorités me renvoient à chaque itération à « sans lendemain », qui est très vite devenu pour moi son petit nom durant la lecture) au travers d’autres aventures. On parle d’un univers fini (en termes de rédaction) ou vous bâtissez au fil des besoins des bouquins ?

Derrière Nolendim, il y a cinq années de préparation. La méthode tolkienienne : définir tous les ingrédients nécessaires à l’élaboration d’un monde fantastique. Sans aller jusqu’à la création de langue mais presque sur certains éléments qui seront développés par la suite.
Nolendim possède une chronologie parsemée de légendes prenant place très loin dans le passé avant Le Retour d’Askavre, un large bestiaire démoniaque restant ouvert à de nouvelles immondices, une mythologie basée sur une trinité divine tout droit inspirée du culte de Brahmā13 (hindouisme) ainsi qu’une cartographie précise de sa géographie et sa géopolitique. Le tout imprégné de plusieurs thématiques sous-jacentes mises en réflexion dans la trilogie comme : le rôle de Dieu dans la société, l’asservissement du peuple par les pouvoirs politiques, la légitimité de la justice au prix de la souffrance, la vérité obstruée par l’histoire académique et l’effondrement des civilisations.
Pour les bouquins en préparation, comme L’Empire de Kimchra, rien n’est encore finalisé en termes de détails mais les chapitres historiques, les événements cruciaux qui vont précipiter Nolendim vers l’une de ses quatre fins sont déjà gravés dans le marbre.

Pour ce qui est de la construction d’ailleurs, les visuels sont assez saisissants quand on tombe dessus au détour d’un chapitre. Ça m’amène à m’interroger sur l’ordre dans lequel les choses se sont déroulées… textes en premier ou illustrations ?

Deux ans et demi séparent la première illustration de Le Retour d’Askavre de la dernière. L’approche visuelle a suivi le même procédé complexe que l’écriture et la définition de l’univers de Nolendim. Une documentation précise sur le bestiaire, l’architecture des lieux, les objets et les personnages ; les composants essentiels de nos scènes. Pas moins de six carnets de croquis ont été nécessaires, une sélection de ces dessins a été regroupée dans un livre que nous éditons : Bribes de cauchemar.


Pour la manière de nous organiser, Le Retour d’Askavre a été composé en chapitres ayant des paragraphes indépendants. Dès lors qu’un chapitre était finalisé, l’illustration des scènes démarrait dans une libre interprétation artistique qui n’a pas dérangé le réajustement de l’écriture de certains paragraphes.

Sur votre page Facebook, vous présentez les illustrations comme « tradi-gitales »… Forcément, ça attise la curiosité de l’amateur de belles choses que je suis. Vous nous cachez quoi derrière cette appellation ?

Le tradigital est un procédé d’encrage traditionnel avec un enrichissement digital pour certains détails difficiles à obtenir à la plume. Chaque illustration a été crayonnée et encrée pour respecter l’esprit des LDVELH. Tout à la fois, dans la même volonté de proposer un univers et un système de jeu qui sortent des sentiers battus, nous avons voulu moderniser le rendu en retravaillant les dessins en postproduction. Pour cela, nous les avons numérisés sur des scanners à haute définition, couramment utilisés pour de la fidèle reproduction d’art. Le coup de crayon n’est donc pas dénaturé et l’apport numérique confère une plus grande profondeur.  

Toujours sur Facebook, on a pu admirer certaines illustrations avec un effet 3D… de là à attendre une version numérique du bouquin qui les reprendrait en l’état, il n’y a qu’un pas… Vous comptez le franchir ce pas ?

À notre grand regret Kindle ne propose pas de solution permettant un affichage 3D comme le fait Facebook. Mais l’idée nous a traversé l’esprit de le faire sous un format d’application mobile qui permettra d’apporter une expérience interactive. Il y a la bande dessinée RRR114 qui propose ce type d’environnement 3D. Si nous franchissons le pas, nous retravaillerons le gameplay pour pousser le jeu au niveau de Joe Dever’s Lone Wolf15. Nous ne l’avons pas placé dans nos priorités car nous sommes en peu old school et adorateurs de produits avec un papier au toucher, néanmoins ce type de projet garde tout notre intérêt.

Nous disions donc que Le Retour d’Askavre est un premier volume. Comme tout bon lecteur boulimique, je suis très tenté de vous demander quand la suite est prévue, mais également combien de tomes vous avez prévu pour la série ?

Le deuxième tome, L’Empire de Kimchra, est prévu pour fin 2024, et le troisième volet qui clôtura cette trilogie sera publié aux environs de 2026. Ces récits ne sont pas les premières causes de l’effondrement de Nolendim. Nous réfléchissons également à publier des préquelles qui porteront sur l’histoire du Royaume d’Asdangor : une période précédant l’ère de L’Empire et des Onigamirs, une étape charnière qui a pour apogée le combat des dieux, plusieurs siècles avant Le Retour d’Askavre.

Il y a une longue tradition de « Livres dont vous êtes le Héros » et de multiples collections ayant chacune leur approche du truc. Avec Nolendim, vous vous êtes positionnés un peu différemment de ce qu’on connaît en faisant le choix d’éliminer complètement la part de hasard dans la résolution des actions. Qu’est-ce qui vous a motivé à aller dans ce sens ?

La fameuse Roue des Comportements qui va garder trace de comment votre perso évolue


La jouabilité a été l’axe majeur du projet, construire son personnage durant l’histoire plutôt qu’au début : vous ne choisissez pas celui que vous voulez être, vous le devenez. Cela implique d’exclure les points de caractéristiques définis en début de partie avec une conséquence directe sur les combats.
Mais dès le départ, on a voulu faire la peau aux dés. De notre point de vue, dans les livres-jeu, son utilisation sort le lecteur du récit et de l’action pendant une durée indéterminée. Lors d’un combat aux dés, la partie peut s’éterniser pour tout simplement aboutir à la mort. Est-ce qu’on recommence vraiment depuis le début alors qu’on a la certitude d’être sur la bonne voie, ou encore d’être à quelques paragraphes de la fin ? Nous avons donc préféré orienter les combats vers une version scénarisée avec choix d’action. On compare toujours ça avec le jeu vidéo Gods of war16 : appuyer sur une série de boutons au bon moment. Ou encore avec la bonne capacité, dénommée attributs positifs, qui permet de réaliser certaines de ces actions.
Même l’or au final… qui n’a jamais été tenté de tricher pour obtenir l’objet convoité, ou frustré de finir l’aventure sans avoir tout dépensé ? Pas de points d’expérience, pas d’or, pas de repas. La feuille d’aventure a été simplifiée à sa stricte neutralité : la roue des comportements, et des espaces vides pour les notes, les attributs positifs ou l’équipement acquis en cours de partie.
D’ailleurs, nous avons accordé une grande importance à l’équipement : les trophées de quête ! Nous les avons tous illustrés pour que le joueur puisse admirer ses biens.

Autre point de divergence qui vous rapproche encore un peu plus du jdr : au fil des choix du personnage dans l’histoire, on s’oriente vers quatre types de voies (Héroïque, Rebelle, Sage ou Mystique), quatre approches différentes du récit, et donc quatre fins distinctes. Je trouve ça plutôt chouette, notamment de part le fait d’ajouter de la rejouabilité au livre et m’interroge sur l’impact que ça peut avoir sur les tomes suivants. Sera-t-il possible (si l’on a une continuité du personnage d’un volume à l’autre), de démarrer l’aventure en suivant déjà l’une des quatre voies ?

L’arborescence d’un ldvelh, tout un poême… ici, celle du Bandersnatch de Netflix

Les quatre approches comportementales (Héroïque, Rebelle, Sage ou Mystique) sont analogiques de Guerrier, Voleur, Prêtre ou Magicien. Cela nous permet de développer un grand nombre d’attributs positifs pour les rôles à venir.
Attention au spoil qui va suivre… La fin du premier tome annonce la couleur, le personnage joué dans L’Empire de Kimchra sera autre : un Onigamir. Donc, par définition, la magie va monter d’un niveau dans cette aventure. Commencer avec un personnage complètement neutre, innocent, n’ayant qu’un minimum de connaissances sur le monde qui l’entoure ; c’est l’esprit de Nolendim. On démarre l’histoire au numéro zéro, avec rien, même plus rien. Nous serons donc sur un système de jeu avec les mêmes comportements, par contre les attributs positifs seront différents, comme ils le seront également dans le dernier tome.

On se rapproche gentiment de la fin, ce qui implique la traditionnelle question du développement futur de la gamme : Vous avez d’autres projets pour Nolendim ? Au pif… du jdr ?

L’Empire de Kimchra n’est pas le seul projet sur lequel nous travaillons actuellement. Encore trop tôt pour en dévoiler les contours, mais un jeu de plateau est prévu pour cette fin d’année où nous replaçons le dé comme élément principal du gameplay. Ce sera dans un univers dark fantasy mais détaché de Nolendim. Parallèlement, un univers de science-fiction est en cours de définition. Et notre Saint-Graal serait de produire un jeu de plateau avec figurines.

Enfin, pour conclure, si vous avez quelque chose à ajouter, un truc qui vous tient à cœur, la place est à vous.

Nous avons pour seules motivations de proposer des expériences de jeu immersives, imprégnées d’un imaginaire obscur. Avec un postulat ambitieux : celui de remettre entre les mains du joueur un pouvoir difficile à maîtriser.

Une dernière chose, on te remercie Barthus pour cet interview qui nous a permis de nous exprimer autrement que sur les réseaux traditionnels et d’exposer plus en perspective nos projets.

Voilà, maintenant vous savez tout. Ne reste plus aux afficionados de LDVELH qu’à se procurer un exemplaire de Le retour d’Askavre pour jeter un œil dessus et juger sur pièce.
Je renouvelle mes excuses auprès de Heresium Games pour avoir tant tardé à publier cet article alors qu’ils ont été hyper réactifs de leur côté, et attends impatiemment la suite de ce qui s’annonce comme une belle (mais dark) aventure.

Et je reviens très vite pour de nouvelles aventures, avec un entretien en compagnie du talentueux Sebastien Grenier, ainsi que la suite du Dossier Grümph.

Propos de Thomas PEGASE et Nicolas KFOURY recueillis par David BARTHELEMY

Notes & Références :

1 Heresium Games
2 Le retour d’Askavre
3 Les sombres cohortes
4 Sorcellerie !
5 Défis fantastiques
6 Les messagers du temps
7 Double jeu
8 Le manoir de l’Enfer
9 L’histoire sans fin
10 Hero Quest
11 Space Hulk
12 Games Workshop
13 Brahma
14 RRR1
15 Joe Dever’s Lone Wolf
16 God of War

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