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Dossier Grümph part 1 : Petit Scarabé deviendra grand

Il faut savoir une chose… les monstres existent… Pas forcément ceux qui font peur, avec des cornes, des crocs, des yeux rouges ou tout autre attribut destiné à faire comprendre que l’on va passer un sale moment en leur compagnie, mais ceux qui interpellent.
À l’instar d’un abominable homme des neiges, que l’on désigne parfois sous le sobriquet affectueux de Yéti, nous avons nous aussi dans le jeu de rôle un abominable homme des textes, terreur des portefeuilles de fans et des inconditionnels ne jurant que par le même système de jeu depuis quarante ans (mais pas pour les mêmes raisons)… Le Grümph.

Au-delà d’une pilosité fournie, le Grümph partage avec son collègue tibétain une autre caractéristique : il ne s’expose pas facilement, préférant son terrier d’auteur aux flash des photographes.
Conséquence de tout cela, il (ainsi que son travail) n’est à mon sens pas assez mis en avant dans les différents média rôlistes, qui lui préfèrent les grosses machines (Kraken et autres Dragons) n’ayant pourtant plus besoin d’assoir leur légende.

Hé bien il suffit… À défaut de coincer l’animal en personne pour vous prouver qu’il existe bel et bien, nous ferons comme tout cryptozoologue digne de ce nom et examinerons les traces qu’il laisse derrière lui (hé non, il n’y aura rien de sale, promis)
Je ne vous ferai pas l’affront de vous ressortir le wiki du monsieur, vous n’avez pas besoin de moi pour cliquer sur sa biographie, par contre je vais faire quelques arrêts sur certains de ses jeux (je ne serai pas exhaustif dans le sens où je ne parlerai que de ceux que je possède, ai lus et pour la plupart, fait jouer) afin de dire ce que j’en pense (méthode au combien scientifique s’il en est).

John Grümph au saut du lit… haaa non! Pardon

Comme nous l’avons établi précédemment, ma démarche sera des plus approximative et fortement guidée par mes propres affinités avec les jeux traités. C’est pourquoi nous allons commencer avec non pas un jeu à proprement parler, mais un système générique, bien connu des afficionados de John Doe1 ou des intégrales des XII Singes2.
Ben oui hein, quitte à faire, autant quasi démarrer avec un truc qui va gentiment s’imposer un peu partout. Donc le Dk System3 c’est quoi ?
Il s’agit d’un système de jeu fortement hérité de Donjons et Dragons4, dont il reprend l’essentiel des mécaniques tout en le simplifiant d’une manière ma foi fort bienvenue.
La première version est détaillée dans le livre de base (et seul livre d’ailleurs, bien qu’un écran soit disponible) de Lanfeust de Troy5, par Eric Nieudan6.

Dk² chez John Doe avec une illustration de devinez qui … ?

En 2006, c’est donc en collaboration avec le dit Eric Nieudan que sortira chez John Doe ce petit bouquin qui mine de rien va s’imposer au travers de toute une succession d’univers comme Mahamoth7 (réédition d’un jeu du Grümph chez les XII Singes, la première version pdf tournant sous un dérivé de Barbarians of Lemuria8), Mantel d’Acier9, Plagues10, Mississippi11, B.I.A12, Necropolice13
On prend D&D, on vire tout ce qui est trop tactique/pénible, on ajoute une petite mécanique maison autour des dés Krâsses (des dés bonus qui fournissent des billes aux meneurs pour qu’il puissent ensuite s’en servir contre les PJs), et roule ma poule on arrive sur un truc facilement adaptable, que l’on customisera à grand renfort d’avantages dédiés aux univers abordés.
C’est malin, simple et pratique à défaut d’être vraiment en capacité de coller étroitement à un univers de jeu très spécifique. On notera qu’une foultitude d’adaptations d’univers connus ont été faites pour le Dk (Cadwallon14, ArKipels15, Tsuvadra16 …) et qu’une deuxième version est disponible (sobrement baptisée Dk²).

Faisons ensuite un saut jusqu’à 2011, avec l’arrivée de mon premier chouchou, à savoir Les Mille Marches17. Là, on attaque les choses sérieuses (je vous avais prévenu, je parle en toute subjectivité).

Ce jeu est une création 100% Grümph et va nous proposer d’évoluer dans un multivers très chouette, en partant d’Oröpa, une énorme mégalopole ayant pour centre Bruxelles, englobant une bonne partie de la Belgique et courant jusqu’à Dunkerque. La « cité » comprend des agglomérations, des forêts et toutes sortes de paysages aptes à servir vos aventures. Il existe un nombre infini de versions d’Oröpa, autant que de Marches, les différents pans de ce multivers. Si vous avez lu le cycle d’Ambre de Roger Zelazny18, vous ne serez pas perdus ici.
Pour moi, cet univers dégage une réelle poésie (même s’il peut s’avérer cruel), avec sa cité tentaculaire utopique où toutes les histoires se racontent et se percutent. La magie est bien présente, mais n’exclue pas la technologie (voir l’inclue fortement avec la Mage-Tech), faisant se côtoyer féérie et criminalité, bosquets enchantés et zone d’ombres pour croquemitaines en goguette.
Je ne déflorerai pas plus la cosmogonie du jeu, vous en laissant (ainsi qu’à vos PJs) la surprise, sachez juste que telle une choucroute aux fruits de mer, c’est riche sans être bourratif et que si vous cherchez du dépaysement, vous serez servis.
C’est aussi avec ce jeu que débarquent les MUSAR, pour Mécaniques Universelles de Simulation d’Aventures Romanesques, toute une liste d’outils pour vous aider à gérer simplement certaines situations incontournables des parties de jdr (combats, poursuites, inventions diaboliques, planification d’opérations …). Ce sont à chaque fois des aménagements légers qui permettront de privilégier la narration aux mathématiques durant vos parties, et pour la plupart fort bien vus.
Je suis particulièrement fan de la manière de traiter la planification … avant une scène d’infiltration par exemple, vos PJs feront quelques jets de dés en vue d’activer leurs contacts, chopper du matériel, se renseigner sur l’endroit où ils vont mettre les pieds … le tout sans détailler les infos en questions. Les jets de dés vont permettre de quantifier un pool de points qui seront utilisés au fur et à mesure de la résolution des situations pour surmonter les différents obstacles que le MJ aura mis en place.

Ex : le groupe se retrouve face à une serrure à code électronique pour pénétrer dans le hangar au sein duquel sont entreposées les marchandises qui les intéressent. Les joueurs prélèvent 2 points dans leur réserve et expliquent que 2 semaines avant l’opération, ils ont soudoyé un homme d’entretien travaillant sur place, obtenant le dit code.
C’est simple, élégant et permet de monter des plans à la Ocean’s Eleven19 sans pour autant y passer des heures.

C’est à mon sens à partir de ce jeu que la démarche d’ergonomie dans le Game-design Grümphien devient flagrante, et nous retrouverons plusieurs des mécaniques amenées dans les 1000 Marches au cœur des productions ultérieures, toujours affinées et de plus en plus pertinentes.
Le jeu s’enrichit également d’un supplément (Stormchasers20), proposant un écran de jeu et un livre de 64 pages détaillant de nouveaux éléments de magie, apportant des précisions sur quelques points de règles, ainsi qu’une nouvelle Marche orientée Pulp années 30.
Un recueil de nouvelles intitulé Trois Contes Oropaens21 est aussi disponible dans la collection Chibistouri, écrit par Ireann Delaunay et illustré par le Grümph, vous permettant de vous plonger plus avant dans cette ambiance si particulière.

Mon second jeu fétiche arrive en 2013 avec Oltréé !22
C’est celui-ci qui a finit de me convaincre que quelque chose se tramait véritablement au niveau du Game-design afin de proposer une manière de jouer décomplexée, basée sur l’improvisation et résolument moderne, tout en s’inscrivant pleinement dans la mouvance OSR.

Une magnifique version collector était disponible lors du financement du jeu … Rhaaaa Lovely !

Je vais essayer de faire court, mais ne m’en voulez pas si je digresse, Oltréé ! étant pour moi un véritable jeu de cœur (si je devais n’en conserver que deux sur ma ludothèque, je pense qu’il trônerait fièrement à côté de Rêve de dragons23, au grand dam de tous les autres).
Donc, avec Oltréé ! , LG (diminutif de l’auteur) nous propose sa version d’un jeu d’exploration med-fan d’apparence traditionnel, avec carte à hexagones, anciennes colonies d’un empire renaissant (les satrapies) et bestiaire classique revisité à sa sauce.
Vos joueurs incarneront donc des patrouilleurs au service d’un Empire en pleine reconstruction suite à une terrible guerre contre des forces obscures, patrouilleurs dont la mission sera de renouer le contact avec les anciennes colonies ayant pris leur indépendance (souvent forcée) durant les siècles passés.
Pour la plupart, l’Empire n’est plus qu’un souvenir se manifestant au travers des ruines d’anciens fortins ou la persistance de certaines traditions tombant petit à petit en désuétude.
Là où ce jeu se démarque des autres, c’est par la multitude de mécanismes visant à émuler l’exploration d’une terre redevenue barbare (au sens grec ou romain du terme), qui mettront véritablement l’accent sur l’improvisation et l’aspect Bac-à-sable en fournissant des outils et une approche dynamique du jeu, ne nécessitant pas de poncer son scénario pendant des heures avant chaque partie.
Merci pour tous les MJs débordés par la vie de tous les jours, dont je fais partie.
Le principe est donc de fournir un travail en amont du jeu par la création d’une carte à hexagones sur laquelle figureront diverses cités, factions, menaces, ruines … et l’agenda des différentes forces en présence à plus ou moins long terme (à la manière des Fronts de Dungeon World24). Le livre fournit quantité de tables aléatoires (ou non, c’est selon) pour aider à la construction de ce squelette sur lequel viendront se greffer vos patrouilleurs et qui fournira les aventures tant recherchées.

Carte d’Elysia basée sur la satrapie proposée dans le livre de base

Une fois votre travail préparatoire effectué, amis MJs, faites bosser vos joueurs et mettez les pieds sous la table pour découvrir ce qu’ils vont bien pouvoir vous pondre.
En effet, Oltréé ! fonctionne avec un système très malin de cartes d’exploration. Chaque fois que votre patrouille va explorer (ou simplement traverser) un nouvel hexagone, l’un des joueurs va tirer une carte dite de Patrouille, sur laquelle figureront certaines données.
Il peut s’agir d’une menace, d’une opportunité, d’une complication ou pour certaines cartes, d’un laconique « rien à signaler ». En fonction des événements, une liste de mots clés est donnée sur la carte, à partir de laquelle le joueur ayant effectué le tirage lancera un début de scène, posant les bases de l’action à venir … et le MJ reprend la main ensuite pour animer la scène à sa sauce.
C’est très chouette dans l’idée (même si ça ne conviendra pas à toutes les tables de part les aspects participation des joueurs et lâché prise du MJ) et permet aux joueurs de s’approprier le jeu au delà de la simple réaction à une situation donnée, puisqu’ils en seront bien souvent eux-mêmes les instigateurs.
Pour résoudre les actions, vos PJs lanceront trois dés à 8 faces de couleurs différentes afin d’identifier : un dé de maîtrise, un dé de prouesse et un dé d’exaltation, contre un seuil de difficulté.
Seuls deux de ces trois dés seront conservés au final : le dé de prouesse et celui de maîtrise, le dé d’exaltation étant éventuellement destiné à remplacer le score affiché par l’un ou l’autre de ses confrères. Petit twist intéressant sur les jets de dés, le résultat du dé de prouesse permettra de déclencher des effets (mécaniques ou narratifs) parmi une liste, au choix des PJs.
C’est un coup à prendre, mais une fois habitué, cela permet de fort jolies choses quant à l’interprétation des jets.
Le livre comprend également tout l’attirail nécessaire pour faire vivre le fortin des patrouilleurs et le transformer en véritable générateur d’évènements dans vos parties.
Le livre de base est rempli de trouvailles mécaniques visant à fournir une expérience différente de ce que l’on pratique habituellement en jdr et souffre, par là même d’être parfois « trop » riche, chaque aspect traité amenant sa « petite règle ». C’est un travers qui fait que Oltréé ! a du mal à trouver son public en dépit de la souplesse de jeu qu’il accorde. Sachez toutefois que si vous consentez à faire l’effort de le faire votre (en triant notamment les points de règles que vous souhaitez conserver), je pense qu’il saura satisfaire à peu près toutes vos envies ludiques en leur apportant un petit vent de fraicheur non négligeable.
Dernier point et non des moindres.
Devant la quantité de « petites règles » présentes dans le jeu, l’ergonomie devient ici un point important dans la présentation du matériel qui ne quittera plus les productions de LG. Pour preuve, la fiche de patrouilleur de Oltréé ! qui a le bon goût de rappeler le fonctionnement des différents détails du personnage (en gris sous chaque entrée) :

Enfin, on notera qu’un supplément, sobrement baptisé Le Compagnon25 est également disponible et qu’il vous fournira à peu près tous les outils qu’il pouvait manquer (et bien d’autres encore) au livre de base, ainsi que de nouvelles cartes adaptées cette fois à l’exploration de cités médiévales. L’animal fait bien une fois et demi la taille du livre de base et dorénavant si un outil particulier venait à vous faire défaut, c’est vraiment que vous le faites exprès.

Les plus observateurs d’entre vous aurons probablement remarqué de gros trous dans ma chronologie … Je précise, à toutes fins utiles, que je n’évoque ici que les productions 100% Grümphiennes (ou presque) et pas les collaborations, illustrations, mises en page et compagnie, car si je devais me lancer là-dedans, c’est un blog entier qu’il me faudrait consacrer à l’auteur, au risque de passer pour un dangereux maniaque encourant une ordonnance restrictive pour harcèlement.
Oltréé ! sort en juillet 2013 et le tournant dans la carrière de l’auteur arrive en décembre de la même année avec … Chibi26.
Chibi qu’est-ce que c’est ?

Le catalogue Chibi/Chibig chez Lulu

C’est sur cet intolérable suspens que se clôturera la première partie de notre dossier, la collection Chibi méritant à elle seule pleinement un article dédié.
Pour me faire pardonner de vous laisser tout pantelant devant tant de Grümphitude, vous pourrez retrouver ce week-end une interro surprise de notre aimable sujet, dont j’ai fini par remonter la piste et qui, en contrepartie de ma persévérance a consenti à répondre à quelques questions indiscrètes
.
Mais quel odieux procédé que le cliffhangerMOUAHAHAHAHAHAHAHA !!!

Affaire à suivre

Notes et Références :

1 John Doe
2 Les XII Singes
3 Dk System
4 Donjons & Dragons
5 Lanfeust le jeu d’aventures
6 Eric Nieudan
7 Mahamoth
8 Barbarians of Lemuria
9 Mantel d’Acier
10 Plagues
11 Mississippi
12 B.I.A
13 Nécropolice
14 Cadwallon
15 Arkipels
16 Tsuvadra
17 Les Mille Marches
18 Le Cycle d’Ambre de Roger Zelazny
19 Ocean’s Eleven
20 Stormchasers
21 Trois Contes Oropaens
22 Oltréé !
23 Rève de Dragons
24 Dungeon World
25 Le Compagnon
26 Chibi

Et enfin, l’adresse direct vers Le Terrier du Grümph, où vous pourrez poursuivre l’exploration de son travail (tout en attendant impatiemment la suite du présent dossier)

1 réflexion au sujet de “Dossier Grümph part 1 : Petit Scarabé deviendra grand”

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